Inscription

Mon âme est comme un ciel sans bornes ;

Elle a des immensités mornes

Et d’innombrables soleils clairs ;

Aussi, malgré le mal, ma vie

De tant de diamants ravie

Se mire au ruisseau de mes vers.

 

Je dirai donc en ces paroles

Mes visions qu’on croyait folles,

Ma réponse aux mondes lointains

Qui nous adressaient leurs messages,

Éclairs incompris de nos sages

Et qui, lassés, se sont éteints.

 

Dans ma recherche coutumière

Tous les secrets de la lumière,

Tous les mystères du cerveau,

J’ai tout fouillé, j’ai su tout dire,

Faire pleurer et faire rire

Et montrer le monde nouveau.

 

J’ai voulu que les tons, la grâce,

Tout ce que reflète une glace,

L’ivresse d’un bal d’opéra,

Les soirs de rubis, l’ombre verte

Se fixent sur la plaque inerte.

Je l’ai voulu, cela sera.

 

Comme les traits dans les camées

J’ai voulu que les voix aimées

Soient un bien, qu’on garde à jamais,

Et puissent répéter le rêve

Musical de l’heure trop brève ;

Le temps veut fuir, je le soumets.

 

Et les hommes, sans ironie,

Diront que j’avais du génie

Et, dans les siècles apaisés,

Les femmes diront que mes lèvres,

Malgré les luttes et les fièvres,

Savaient les suprêmes baisers.

Référence bibliographique

Cros, Charles, « Inscription », Le collier de griffes, Paris, Gallimard, 1972 [1908].

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